Lectures
Le Paradoxe de la Vie

Le Vieux

 

Ce qu’il y a d’étrange lorsqu’on observe une personne âgée c’est qu’on la fige à ce qu’elle émane en l’instant.

Comme si elle avait toujours été ce qu’elle nous montre d’elle-même, comme si elle avait toujours été comme ça, comme si elle était venue au monde vieux.

Puis le regard se porte sur un proche, grands-parents ou parents, et là, notre vision s’élargie au point de rassembler les souvenirs partagés mettant à notre conscience une vision plus globale.

Ce qui nous agaçait devient plus tolérable mais aussi plus émotionnel.

Alors le vieux nous renvoie à notre passé et là nous sommes projetés vers l’image d’un temps, celui où nos parents étaient le repaire de notre enfance, ces héros qui nous protégeaient, nous rassuraient face à toute adversité … ou pas.

Puis il nous renvoie à l’image de notre adolescence où nous bravons leur autorité, ou le sentiment de ne pas être compris ou entendu efface peu à peu l’image que nous avions d’eux.

Le besoin d’affirmation, de prendre notre place nous amène à les considérer comme faisant partie d’un autre temps.

Puis vient le moment de leur démontrer que nous aussi nous sommes l’expression d’un temps en les renvoyant inconsciemment à une époque, tissant autour d’eux un espace qui les enferme dans LEUR temps, celui que nous avons pour référence celui où nous les avons connus.

Invité par cette volonté croissante de leur démontrer qu’ils n’appartiennent pas à notre temps, nous les enfermons à leur faire croire que leur temps et celui d’un passé ce qui progressivement les plongeront dans la nostalgie d’un temps révolu.

Le besoin de croire en leur réalité produira chez le vieux une réaction de sursaut vers l’adaptation du temps présent ou bien l’abandon de toute perspective de futur.

Dans ce cas le déclin s’installe et la dépendance des parents envers leurs enfants se fera de plus en plus ressentir.

L’enfant découvre alors un état auquel il n’avait jamais été préparé, celui de devoir à son tour rassurer ses parents.

L’inversion des rôles fait prendre conscience à l’enfant d’une responsabilité que jusque-là il était prêt à assumer envers ses propres enfants mais n’avait jamais soupçonné devoir l’exercer envers ses parents.

L’enfant refusera ce rôle ou au contraire se plongera à fond, profitant de cet état de dépendance pour faire passer les messages de toute une vie dans l’espoir qu’ils seront enfin entendus.

Dans les deux cas l’enfant visera clairement son propre intérêt ne se souciant que de son bien-être.

Le vieux l’observera et par un détachement auquel on l’aura obligé à se retrancher, finira par s’ouvrir à une nouvelle conscience libre de ses pensées sans avoir besoins de les exprimer.

Les prises de consciences se succèdent, il découvre une autre réalité qu’il ne peut pas partager puisqu’on l’a engagé à une forme d’inutilité.

Le Vieux a compris. Il sait ce qui est, ce qu’il est, ce qu’il avait à accomplir, sachant ce qui lui reste à mettre en œuvre avant de rentrer à la maison.

Le fond prend peu à peu place à la forme laissant aux observateurs le soin de le comprendre ou pas car cela n’est plus de sa responsabilité.

De plus en plus au contact avec son âme le vieux se sent plus libre, plus vraie plus jeune que jamais.

De nouveaux observateurs prennent place, se substituant à ceux qui l’entourent dans le tangible.

On pense qu’il perd la tête, qu’il est en plein délire, alors qu’au contraire il n’a jamais été aussi près de la vie, de la vérité et de la guérison.

Le Vieux sourit intérieurement, il comprend son impuissance à ne pouvoir partager ce qu’il est en train de vivre. Les jours, les mois, les années passent. Il vient d’ouvrir son cœur à la réalité de ce qui est juste et parfait.

Il sait qu’il est prêt à rejoindre cette dimension qui lui semble de plus en plus familière.

Le vieux nous observe une dernière fois, il nous voit tel que nous sommes. Alors il nous pardonne, submergé de cet amour qu’il reçoit et qu’il nous offre.

Le vieux nous tire sa révérence, sentiment d’avoir rempli au mieux sa mission et nous souhaite bon vent.

Il sera toujours présent pour ceux qui le solliciteront ou qui l’entendront, car il est déjà en route pour de nouvelles aventures… mais ça, c’est une autre histoire.

 

                                                                         Marc Lambotte